: 2HYPERkifékoi & 1shanson


Une vie plus vraie (une vie plus vraie)

La concurrence triomphe. Et elle écrit son triomphe sur le monde en très gros, elle l'écrit en bâtiments, en routes, parcs, hangars, parkings, coulées vertes, centres commerciaux sur les villes d'Europe, et surtout autour des villes d'Europe, puisqu'elle installe des centres tout autour des cités, à la périphérie des villes - exactement comme avaient déjà fait les ordres mendiants au 13ème siècle : - les prêcheurs comme les franciscains et les jacobins, - aussi bien que les mineurs comme les dominicains, les augustins et les carmes. Comme ils voulaient être présents partout où ils pensaient qu'ils pouvaient être utiles, ils décidèrent alors de quadriller le réseau urbain européen, donc : ils s'implantèrent dans toutes les villes où on ne leur opposa pas une résistance insurmontable, c'est-à-dire : l'énorme majorité.

Puis de là, grâce à leurs sermons, ils réussirent la conquête sociale des citadins, la conquête morale et financière de ces citadins, et finalement, sur la demande des bourgeois, leurs couvents purent être transportés au cœur même des villes, en plein centre ville.

Et maintenant ce qu'on voit c'est : l'ordre marchand qui imite l'ordre mendiant.

- Dîtes-moi, monsieur Leclerc, où va mon ami quand il meurt ?

- Est-il apaisé ?


Stendhal : Une comparaison terme à terme à deux termes

- AAAAAh ! Stendhal ! Tu sais, il avait une drôle de manie, Stendhal : il écrivait son nom partout. Partout. Stendhal sur ses meubles, Stendhal sur une chaise, sur une table, Stendhal, sur ses draps : même sur ses vêtements : Stendhal dans ses chaussures. Il écrivait même son nom dans les livres des autres, tu vois ? dans les marges, partout : Stendhal, Stendhal, Stendhal, Stendhal, Stendhal ! Et ça, cette graphomanie, ça avait beaucoup intrigué Paul Valéry. Par exemple, il cite dans un de ces livres un passage d'un livre de Stendhal : La vie de Henri Brulard : " Un jour anniversaire de sa naissance, Henri Brulard déboutonne son pantalon. C'est pour y inscrire dans la ceinture : Je viens d'avoir la cinquantaine. " Et là, Henri Brulard, c'est Stendhal. Parce qu'il utilisait des tas de pseudos. D'ailleurs, même Stendhal c'était pas son vrai nom. Son vrai nom, c'est Henri Beyle. Mais toute sa vie, il a utlilisé des pseudos : à l'hôtel, en voyage, dans sa correspondance, et surtout dans ses romans, où il n'a à peu près raconté que sa propre vie, mais sous des noms d'emprunt. Parce que, si tu veux, écrire, pour Stendhal, c'est se raconter, s'étudier. Il suivait le précepte de Socrate : Connais-toi toi-même. Pourquoi Stendhal ? Pourquoi je parlais de Stendhal ? Ah oui, voilà. C'est parce que je me suis aperçu d'une chose. C'est que cette bizarrerie, là, de cet auteur, cette espèce de monstruosité psychologique, elle a beaucoup influencé les géants de la grande distribution. Eux aussi, tu vois, ils écrivent leur nom partout : sur leurs employés, sur leurs sacs plastiques, Stendhal sur leurs magasins, Stendhal sur les maisons, Stendhal sur les routes, Stendhal sur les villes, Stendhal Stendhal. Et même chez toi. Tu ouvres ta boîte aux lettres, tu ouvres tes placards, tu ouvres la télé, Stendhal. Même dans les conversations avec tes meilleurs amis : Stendhal, Stendhal, Stendhal, Stendhal, Stendhal ! Et eux aussi ils utilisent des pseudos : tu prends par exemple Casino. Bon, eh ben des fois ils se font appeler Casino, mais des fois ils se font appeler les Galeries Lafayettes, ou Franprix ou Monoprix, ou Leader Price ou SPAR.

Bon ben ça c'est quand même bien la preuve que la littérature du 19ème siècle est une composante majeure de la culture d'entreprise de ce monde de l'épicerie contemporaine.

Donc : Amis écrivains ! Réjouissez-vous ! et : Méfiez-vous ! Vous êtes sans doute en train d'écrire aujourd'hui les bases de la culture commerciale du 23ème siècle.

Olivier Bosson - 13 janvier 2005

13 janvier 2005 - www.editions-ere.net - www.le-fresnoy.tm.fr - olivierbosson@free.fr. Compétent dans sa branche est un DVD, c'est un album de vidéo qui regroupe 27 morceaux de vidéo, une production Le fresnoy, Studio National des Arts Contemporains, co-édité par les éditions é®e. Illustration et pièces sonores de Olivier Bosson.